
Pour quelle raison la chaîne des causes ne serait-elle pas infinie dans le
temps et la complexité? Cela contredit-il quelque loi de la nature? A
quel nombre de causes devrions-nous nous arrêter pour dire : "ça
suffit, je ne vais pas continuer à remonter dans le temps ad
infinitum, passons à un créateur sans cause"? Ceci n'est qu'une
échappatoire pour ceux qui ne supportent pas l'idée de l'infini. Soit
Dieu est immuable, et alors il ne peut créer, soit il est dans le
temps, et il n'est pas immuable. C'est bien là l'une des
contradictions auquelles conduit la notion de cause première.
Si l'on parle de principe créateur, on ne peut pas le laisser dans le
vague total. Il faut pouvoir en dire quelque chose. On ne peut pas
postuler l'existence de quelque chose sans rien avoir à en dire. Si le
principe créateur n'a aucune caractéristique, qu'il existe ou non ne
fait aucune différence, on peut aussi bien s'en passer, l'éliminer à
l'aide du rasoir d'Occam. Ce principe créateur est-il né de lui-même?
résulte-t-il de causes? est-il permanent? tout puissant?
S'il décide de créer, il n'est pas tout-puissant, car il est influencé
par le désir de créer. De plus, il a changé et perd ainsi son
immuabilité : avant, il n'avait pas le désir de créer, et maintenant il
l'a. S'il crée sans décider de créer, il n'est pas non plus omnipotent,
car il ne jouit pas de la liberté de créer ou de ne pas créer. Son
omnipotence est ainsi réfutée. Deuxièmement, un tel principe est-il né
sans cause, ou est-il sa propre cause? S'il est sa propre cause, il
est forcément immuable. Une entité existant d'elle-même n'a aucune
raison de changer. Ne peut changer que ce qui a été produit par autre
chose. Mais, s'il est immuable, il ne peut pas créer. Pourquoi? Parce
que quelque chose de permanent ne peut pas produire quelque chose
d'éphémère. De plus, s'il crée, il n'est plus immuable, car la
création implique le changement : il y a un acte créateur. Après avoir
créé, il ne serait plus le même : avant, il n'était pas créateur,
après, il l'est devenu. IL perd donc son immuabilité. La notion de
permanence rend impossible toute succession d'événements et de
conditions variés : un créateur immuable ne peut avoir deux états.
Enfin s'il crée, il doit être modifié en retour par sa création, car
toute création implique une interaction. Aucune cause ne pouvant être
unidirectionnelle, la causalité est nécessairement réciproque. Là
encore le créateur perd son immuabilité, et, du même coup, son
éternité. Rien ne peut modifier quelque chose d'immuable. Bref, ce qui
n'a d'autre cause que soi-même ne peut interagir avec quoi que ce
soit.

Ce désir de trouver un début
est fondé sur la conviction que toutes les choses existent aussi
réellement et solidement que notre esprit ordinaire les perçoit. Or,
si le début n'est pas nécessaire, le principe organisateur ne l'est
pas non plus. Comment pourrait-il organiser des phénomènes sans début?
Il ne pourrait tout au plus qu'en modufier le cours au fur et à
mesure.
Troisième argument : si ce principe créateur organise la totalité du
monde des phénomènes, il doit contenir en lui toutes les causes de ce
monde. Sinon, il exiserait quelque chose en dehors de sa création. Or,
le fondement de la loi de causalité est que, si un événement ne se
produit pas, c'est parce que certaines causes ou conditions font
défaut. Tant que toutes les causes et conditions ne sont pas réunies,
il est impossible qu'un effet se produise. A l'inverse, quand toutes
les causes et les conditions sont présentes, l'effet doit
nécessairement être produit. Si il ne se produit pas, cela voudrait
dire qu'il manque encore quelque chose. Donc, si un principe créateur
portait en lui toutes les causes et les conditions de l'univers, il
devrait sans cesse créer la totalité de l'univers. Un big bang
permanent, en quelque sorte. Il ne pourrait pas s'arrêter un seul
instant. S'il s'arrêtait, cela signifierait qu'il cesserait de contenir
dans son essence toutes les causes de la création. Il lui faudrait
donc l'aide soit d'un autre principe qui détiendrait une partie des
causes et dont il serait dépendant, soit d'un principe régulateur qui
mettrait un frein à la création. Dans tous les cas, il perdrait sa
toute-puissance. Il n'y a donc que deux possibilités : ou bien il ne
détient pas toutes les causes et les conditions, et il ne peut jamais
créer; ou bien il les possède toutes, et il crée tout continuellement.
Ce qui est absurde. De plus, si tous les événements de l'univers,
passés, présents et futurs, étaient simultanés du point de vue du
créateur, cela entraînerait un déterminisme absolu. Ce point de vue
rendrait vaine toute quête de transformation visant l'amélioration de
l'humain.